Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/100

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tanes trouées, mangées de graisse, ses chapeaux pelés, ses souliers qui bâillaient comme des museaux de carpes. Hélas ! ses ressources, ses économies totalisées ne parvenaient pas à faire de grosses sommes. Et puis, il s’endettait de plus en plus chaque jour : en achetant des livres à tempérament, en souscrivant à de nombreuses publications qui dévoraient à l’avance l’argent de ses mois. Ce qui l’irritait surtout, c’était de voir autour de lui des prêtres bourrés de riches cadeaux, gorgés d’argent par les dévotes de la ville. Il ne pouvait penser sans de sauvages jalousies, au grand vicaire à qui les dames pieuses brodaient des étoles, des chapes, des coussins, des services de table, à qui, délicatement, le jour de certains anniversaires, elles glissaient de grasses offrandes pour des pauvres chimériques et des œuvres de vague bienfaisance. Lui seul n’avait jamais rien reçu, pas même une boîte d’allumettes, pas même deux sous. Et sec comme un squelette et sale comme un mendiant, il assistait, la haine au cœur, au fleurissement de ces joues qui suaient la paresse et la gourmandise, à l’épanouissement de ces ventres heureux, voluptueusement tendus sous des soutanes chaudes et des douillettes neuves. Après avoir lassé la patience de sa mère, qu’il accablait de demandes répétées sous prétexte que, la vie étant très luxueuse à l’évêché, il fallait y tenir un haut rang, après avoir tiré de l’évêque quelques menues sommes sous le couvert de charités discrètes, il en était arrivé à s’accrocher à la possibilité d’expédients malhon-