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une verdure autre que la morne verdure des ronces qui poussaient là, libres et touffues, dévorant chaque jour davantage ce coin de terre délaissé. Au moment où il s’engageait dans l’avenue, l’abbé croisa une vieille femme, qui tenait à la main une sordide écuelle de bois.

— Le Révérend Père Pamphile est-il au couvent ? demanda-t-il.

— Oui dame ! monsieur le curé, répondit la vieille… il y est…

Et désignant l’écuelle que marbraient des taches de graisse figée, elle expliqua :

— Même que j’viens d’lui porter sa soupe… Vous le trouverez auprès de son église, en train d’remuer d’la pierre… Oh ! il en remue, il en remue ! allez !… Bon sang, qu’il en remue !

Devant cette tristesse épandue, ce ciel maussade, cette misère navrante des choses que, dans la fièvre de la route, il n’avait pas encore constatés, l’abbé regretta tout d’un coup d’être venu. Son enthousiasme était tombé ; il ne croyait plus à la réussite de son idée. Pourquoi désirait-il une bibliothèque ? Était-il même bien sûr de la désirer et de désirer quoi que ce soit ? En vérité, il n’en savait rien. N’était-ce point une mystification qu’il se jouait à lui-même, une de ces farces lugubres comme il en inventait pour tromper l’immense ennui de son existence ? Et il eut un dégoût de la vilaine action qu’il avait commise la veille, une crainte de celle qu’il allait commettre tout à l’heure.

— Bah ! fit-il, voyons toujours.