Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/106

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La pluie redoublait. Il voulut hâter le pas, mais il fut contraint de ralentir son allure, à cause des ronces qui se glissaient sous sa soutane, s’accrochaient à ses jambes, entravaient sa marche de leurs enlacements de reptiles douloureux et continus. Obligé de trousser sa robe comme une femme, furieux contre lui-même, et contre les lianes qui s’obstinaient et manquaient de le jeter par terre, à chaque instant, il avançait péniblement. Enfin, bougonnant, jurant, tirant la patte, il parvint à franchir le passage difficile, trouva un sentier qui filait, droit, entre les touffes de ronces, et bientôt, il ne fut plus qu’une tache sombre, au loin, pas plus grosse qu’un corbeau rasant les hautes herbes.


L’abbaye du Réno datait du XIIIe siècle ; elle avait été bâtie par saint Jean du Matha et saint Félix de Valois, fondateurs de l’Ordre des Trinitaires, autrement dit de la Rédemption, ordre admirable et puissant qui envoyait ses religieux délivrer les chrétiens captifs chez les infidèles. D’abord resserrée dans un étroit pourpris, composé de jardins potagers, d’un petit bois, de quelques prairies, l’abbaye étendit peu à peu ses possessions, englobant champs et forêts, étangs et villages, tout le pays, à perte de vue, autour d’elle. Au XVIIe siècle, qui semble, d’après les ruines encore debout, lui avoir le plus laissé son empreinte d’architecture sévère et grandiose, elle possédait, dit-on, dix mille hectares de forêts, quinze mille hectares de terre arables, sans compter les vastes étangs d’Andennes, de Vaujours,