Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/109

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absorbé, rétrécissant chaque jour le cercle de ses promenades, pour le limiter, finalement, à l’enceinte de la chapelle détruite. Chose singulière, il ne souffrait pas, lui si bavard d’ordinaire, du mutisme presque absolu auquel il s’était volontairement condamné, et déjà, sur sa physionomie de moine jovial, passait, par instants, cette expression d’abrutissement grandiose, traversé de folie, qu’on voit aux masques hagards des vieux solitaires. À vivre sur lui-même et de lui-même, loin de tout contact intellectuel, hanté d’une pensée unique, dans cette solitude morte, dans ce silence que seuls troublaient des chutes soudaines de murailles, et les craquements sourds des poutres ébranlées, il advint qu’un étrange travail de cristallisation s’opéra dans le cerveau du Père Pamphile. Après des hésitations, des doutes aussitôt combattus, des objections d’autant plus vite réfutées qu’il était seul à les discuter, le Père Pamphile s’était convaincu irrémissiblement qu’il y avait encore des captifs chez les infidèles. L’imagination nourrie des légendes du passé, n’ayant sur le fonctionnement de la vie humaine d’autres notions que celles acquises dans les vieux livres latins, célébrant l’histoire miraculeuse de son Ordre, il croyait que les captifs étaient un nécessaire et permanent produit de la nature, et qu’il y a des captifs, comme il y a des arbres, du blé, des oiseaux : « Et non seulement il y a des captifs, se disait-il tout haut, pour donner à cette conviction une autorité définitive, mais il y en a dix fois plus, depuis que nous avons