Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/111

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aimée, où chaque pierre disait le souvenir des ancêtres, les héros, les saints, les martyrs ; il la revoyait telle qu’elle était décrite, reproduite en toutes ses parties, dans un très vieux livre qu’il avait appris par cœur et qu’il relisait tous les jours ; il la revoyait avec la pureté de ses lignes, la fierté de ses flèches, la beauté de son portail qui contenait, sculptée sur le granit, l’histoire immortelle de la Rédemption ; il marchait sous ses voûtes sonores entre ses hauts piliers qui profilaient le merveilleux poème des frises et des architraves ; il s’agenouillait sur ses dalles de marbre polychrome, extasié par l’angélique pâleur des fresques et l’or flambant de l’autel et le prisme irradiant des vitraux, et il ne se demandait pas ce que cela, qui lui semblait si beau, si simple à regarder, représentait aujourd’hui, d’art perdu, de lutte impossible, et de millions introuvés… Le premier moment de surprise passé, le Père Pamphile se mit à l’œuvre, avec cette confiance aveugle que donne à tous la poursuite du mélancolique Idéal.

D’abord, il vendit tout ce qui était susceptible d’être vendu, depuis les démolitions qui encombraient les cours, jusqu’aux ornements de la petite chapelle que les Pères, à leur rentrée, avaient improvisée dans un ancien réfectoire. Qu’avait-il besoin d’une chapelle pour lui seul ? Il irait bien célébrer la messe à la paroisse voisine. Il vendit le mobilier, ne gardant qu’une couchette en planches, pour dormir, une table, une chaise, quelques livres de piété, un crucifix et une image coloriée, portrait de saint Jean de Matha.