Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/112

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Dans sa rage de vendre, il vendit les vieux gonds des portes charretières qu’il descella lui-même, les vieilles ferrures, les vieilles plaques de cheminée, les outils de jardinage, les tuyaux crevés des gouttières, il vendit tout. Chaque fois qu’il découvrait un bout de fer, un morceau de cuivre, il exultait, clamant :

— Je la bâtirai !

Et de même qu’il avait tout vendu, il abattit tout. Il abattit les arbres de l’avenue, énormes chênes, qui avaient abrité, de leur ombre vénérable, vingt générations de religieux, ses aînés ; il abattit le petit bois de sapins et de marronniers qui faisait au couvent comme un rempart de verdure, et où les allées, les troncs, chaque mousse évoquaient un souvenir fidèle ; il abattit la charmille au fond de laquelle était un calvaire, dont les marches usées montraient l’empreinte des genoux de ceux-là, qui étaient venus prier ; il abattit les arbres fruitiers du jardin ; il abattit les cyprès, gardiens des tombes du cimetière ! Et, tête nue, parmi les bûcherons, sa robe blanche troussée jusqu’aux reins, il les excitait au travail, et il enfonçait, à toute volée, la lourde cognée au cœur rouge des vieux arbres, ahanant d’une voix sauvage :

— Je la bâtirai !

Du haut d’une tourelle qui dominait le couvent, il voulut s’offrir l’immense et douloureuse joie de contempler le spectacle de cette destruction. Tout autour, les arbres gisaient, pêle-mêle, affreusement mutilés, les uns couchés, tordus et saignant par de larges