Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/116

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lesquelles se fabrique le carton des fiertés humaines… Une matinée, le Père Pamphile passait devant la propriété d’un ancien boucher, terroriste farouche, devenu riche par l’acquisition de nombreux biens nationaux. Ivrogne, grossier, dur aux pauvres gens, le sieur Lebreton — ainsi se nommait le personnage — se faisait surtout remarquer par son impiété cynique et sa haine enragée des prêtres. Dans le pays, on le détestait et on le craignait. Le Père Pamphile n’ignorait aucun de ces détails. Mais il en avait vu d’autres, plus terribles que ce Lebreton, qui s’étaient adoucis, à sa parole. Il avait même observé que les plus féroces, en apparence, se montraient souvent, soit par orgueil, soit par boutade, les plus généreux. Au risque d’un refus injurieux — ce qui ne comptait déjà plus pour lui — il franchit la grille et se présenta au château.

— Qu’est-ce qui m’a foutu un sale carme comme ça ? s’écria Lebreton… Eh bien ! vous avez du toupet de venir traîner vos sales pieds chez moi ?… Qu’est-ce que vous voulez ?

Le pauvre moine s’humiliait. Effaçant ses épaules presque suppliant :

— Bon monsieur Lebreton, balbutia-t-il… je…

Il fut aussitôt interrompu par un juron.

— Pas de simagrées, hein ?… Qu’est-ce que vous voulez ?… C’est de l’argent que vous voulez, de l’argent, hein ! sale mendiant !… Attends, je vais t’en foutre, moi, de l’argent !