Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sions des hommes, et il ne recula point devant les boniments de comédien, les mensonges, les complaisances louches, les espionnages policiers, les mises en scène savantes. Au début, il s’était sévèrement reproché ces écarts de conscience, où s’oubliaient sa dignité d’homme et son caractère de prêtre ; il finit par les excuser à cause de la grandeur du but, et même, il y puisa un redoublement d’ardeur. Quelquefois, après les mauvaises journées, devant les recettes maigres, d’obscures révoltes grondaient en lui ; mêlant à ses pensées confuses le ressouvenir des histoires de pirates dont sa mémoire de trinitaire était remplie, il se surprenait à rêver de hardis coups de main, de vols grandioses, de bandes armées à la tête desquelles il rançonnerait des peuples. En peu d’années, le Père Pamphile devint un mendiant accompli. Sous l’ivresse du sacrifice sous l’irresponsabilité de la folie, ses scrupules s’effacèrent de plus en plus, son sens moral s’abolit. Soit habitude, soit esprit de renoncement, il se cuirassa contre les outrages, accepta les mauvais traitements comme une des nécessités de sa condition. Et il eut le dos servile, l’échine craintive, l’œil oblique, la main molle, douteuse et crochue des virtuoses de la mendicité.

On racontait sur lui de sales aventures, dont se gaussait le populaire. Mais les âmes clairvoyantes auraient pu facilement y deviner un héroïsme supérieur, dans sa dégradante sublimité, aux conventions de fausse vertu, de faux courage, de faux honneur avec