Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ma vieille échine, quand je devrais hisser ces poutres, forger ces fers, soulever, à bout de bras, ces voûtes… quand je devrais, tout seul… oui, tout seul, l’étreindre contre ma poitrine, l’enlever de terre, et la planter droit, là… tu entends bien, pauvre fou… là, là !… je la bâtirai ! Adieu !

Le père Pamphile fit quelques pas, s’arrêta au bord du trou qu’il était en train de creuser lorsque Jules était venu le surprendre, et, retroussant sa robe, il se laissa glisser au fond.

Pendant quelques minutes, l’abbé demeura, les pieds dans la boue, immobile et songeur : « Ce n’est pas un bandit, se dit-il… C’est quelqu’un de pire… un poète ! », tandis que la pioche reprenait son mouvement rythmique, apparaissait au-dessus du sol et disparaissait, fouillant la terre.

En proie à un malaise vague, il aurait voulu retourner auprès du Père Pamphile, lui parler, s’humilier ; une sorte de bas orgueil, et la timidité qui est au fond de presque toutes les natures violentes, l’en empêchèrent ; très impressionné, il partit. De nouveau, il s’engagea dans le dédale des matériaux, retraversa les deux cours boueuses, longea les ruines, et tout cela lui parut plein de majesté. Les choses, en harmonie avec l’état de son âme, revêtaient, sous leur tristesse infinie, des aspects de mystère physique et de grandeur morale qui le troublaient étrangement. Une vie qu’il ne connaissait pas, et devant laquelle il se sentait si petit, si laid, si misérablement lâche, si com-