Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/145

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— Ta, ta, ta, ta !… Qu’en savez-vous ?

— Je le sais ! fit l’abbé d’un ton net, tranchant, qui n’admettait pas de réplique.

Alors, le prélat, découragé, se laissa tomber dans son fauteuil. Tout l’effort dont il était capable, il l’avait donné, sa résistance faiblissait. Il sentait qu’il ne lui était pas possible d’aller au-delà. Les paroles de Jules le troublaient aussi dans sa conscience ; il comprenait la justice de ces reproches, dont il n’était pas en état de discerner l’exagération sous la sonorité des phrases prud’hommesques et déclamatoires. Pourtant, il ne se rendit point, tenta de lutter encore.

— Mon cher enfant ! gémit-il… voyez donc dans quelle fausse situation l’on me mettrait !… L’Empereur !… mais c’est lui qui m’a nommé !… Et puis… et puis… j’illumine au 15 août !

— Oh ! Monseigneur ! Monseigneur ! soupira Jules, tristement… Les grands saints, les grands martyrs, ceux-là mêmes que vous honorez, ceux dont vous relisez, chaque jour, la sublime histoire, ne parlaient pas comme vous faites… C’est sur les marches souillées des trônes qu’ils allaient porter la parole de vérité… C’est au milieu des foules hostiles qu’ils confessaient leur foi !… C’est à la face des tyrans qu’ils poussaient le cri d’anathème !

L’évêque pensa : « C’étaient des insurgés que vos saints », mais il n’osa point exprimer cette irrespectueuse opinion, et il regarda l’abbé, de coin, qui se taisait. Celui-ci, debout, la tête haute, les yeux noyés