Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/146

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d’extase, la bouche encore frémissante d’imprécations, ressemblait à un prophète. Et véritablement, à cette minute précise, oubliant la comédie qu’il était venu jouer à l’évêque, c’était un prophète. Tout un monde mystique et visionnaire remuait en lui. Comme Isaïe, il se fût fait scier en deux, le sourire aux lèvres ; il eût marché au martyre avec ivresse. Il se retira lentement, laissant un grand trouble dans l’âme du prélat. Sans se lasser jamais, Jules revint à la charge. Il avait conservé son masque inspiré, mais ce n’était plus qu’un masque couvrant le ricanement du mystificateur. Chaque jour, il apportait de nouveaux arguments, lançait de nouvelles menaces, et l’évêque, obsédé, tyrannisé, mis à la torture par cet impitoyable bourreau, cédait peu à peu sur tous les points, pourvu qu’il ne fût pas question de l’Empereur dans le mandement. Il ne voulait point qu’on touchât à l’Empereur, il ne le voulait point. Ses dernières forces se concentraient sur ce but unique ; sans cesse il répétait :

— Cela ! non !… jamais !… Il m’a nommé !… Et puis, il y a des ordonnances inflexibles !… Je veux rester dans la loi !

Le pauvre homme ne mangeait plus, ne dormait plus, vivait dans une affreuse et constante angoisse. Le moindre bruit, tant sa susceptibilité était exaspérée, lui causait des sursauts pénibles. Éveillé, il était la proie des cauchemars. Même en disant sa messe, en récitant son bréviaire, son imagination lui repré-