Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/16

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dre vigoureusement la laideur physique ou la laideur morale de quelqu’un, mes parents ne manquaient jamais d’employer cette comparaison : « Il est laid comme l’abbé Jules… sale comme l’abbé Jules… gourmand comme l’abbé Jules… violent comme l’abbé Jules… menteur comme l’abbé Jules. » Si je pleurais, ma mère, pour me faire honte, s’écriait : « Oh ! qu’il est vilain !… Il ressemble à l’abbé Jules ! » Si je commettais un acte de désobéissance : « Continue, continue, mon garçon, tu finiras comme l’abbé Jules. » L’abbé Jules ! c’est-à-dire tous les défauts, tous les vices, tous les crimes, toutes les hideurs, tout le mystère. Très souvent, le curé Sortais venait nous voir, et, chaque fois, il demandait :

— Eh bien ? toujours pas de nouvelles de l’abbé Jules ?

— Hélas ! non, monsieur le curé.

Le curé croisait alors ses mains courtes et potelées sur son gros ventre, dodelinait de la tête d’un air navré.

— Si c’est possible, des choses comme ça !… Pourtant, hier, j’ai encore dit une messe pour lui.

— Il est peut-être mort, monsieur le curé.

— Oh ! s’il était mort, ma petite dame, ça se saurait !…

— Ça vaudrait peut-être mieux, monsieur le curé.

— Peut-être bien, ma petite dame ! La miséricorde de Dieu est si grande !… On ne sait pas ! Mais c’est bien triste pour le clergé, bien triste… bien, bien triste !

— Et pour sa famille aussi, allez, monsieur le curé.