Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/160

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tabernacle et de changer le ciboire en sébile de mendiant… Mais, quand je vous entends parler de la Vierge, il me semble que j’assiste au viol d’une jeune fille par un bouc…

De sourdes rumeurs s’enflant peu à peu, devenues bientôt des cris de colère, des protestations furieuses, des vociférations indignées, couvrirent sa voix. Beaucoup étaient debout, la face congestionnée, qui brandissaient, en l’air, des serviettes, des couteaux, et gesticulaient tumultueusement. Par-delà la clameur grandissante, on entendait des bruits clairs d’argenterie, de vaisselle remuée ; le parquet craquait ; et sur les murs ébranlés, les faïences résonnaient, secouées au bout de leurs attaches. Jules se débattait, écumait, hurlait dans le vacarme, en projetant, l’un après l’autre, d’un mouvement alternatif, ses deux poings crispés :

— Allez-vous-en !… Retournez au purin… au crottin… Je vous chasse !… Je vous chasse !…

Alors, l’évêque, plus pâle qu’un cadavre, fit signe qu’il voulait parler, et le silence se rétablit instantanément. Ses lèvres tremblaient, exsangues ; il claquait des dents… Et d’une voix si faible qu’à peine on l’entendit, d’une voix entrecoupée d’efforts douloureux comme celle d’un agonisant, il dit :

— Monsieur l’abbé… C’est moi… c’est moi qui vous chasse !… vous avez…

— Vous ?… cria Jules, dans les yeux duquel passa la lueur d’une folie sanglante… vous ?…