Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je dormis très mal, cette nuit-là, en proie à des rêves pénibles où passait et repassait la grimaçante figure de mon oncle.

Viantais qui, à cette époque, n’avait pas encore de chemin de fer, était desservi par la station de Coulanges, située à dix kilomètres, de l’autre côté du bourg. C’est là que nous devions recevoir l’abbé. Le curé Sortais avait eu, d’abord, l’intention de se joindre à nous ; mais le temps était froid, le vieux curé souffrait de ses rhumatismes ; il préféra se réserver pour le dîner. Les Robin étaient venus à plusieurs reprises, très affairés, très agités, offrant leurs services, comme si nous étions menacés d’un danger. Ils eussent bien voulu nous accompagner à la gare de Coulanges, mais ne connaissant pas l’abbé, cela eût paru extraordinaire.

— Nous ne pouvons pas, discuta Mme  Robin, très ferrée sur l’étiquette… Cela ne serait pas régulier… Enfin, vous passerez vers les quatre heures… Nous vous regarderons par la fenêtre !…

— Moi ! prononça le juge de paix, du ton d’un général qui donne un rendez-vous à ses soldats, sur le champ de bataille, moi je serai sur la place !…

— C’est ça !… c’est ça !… Et puis, à ce soir… venez de bonne heure.

— À ce soir !

La grande voiture arriva enfin, devant notre grille, dans un bruit de grelots. C’était une très vieille calèche, vénérable et disloquée, que mon père louait à