Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Très beau !… très beau !…

Et de fait, il le voyait pour la première fois, ce pays où il était né, où il avait vécu toute sa jeunesse. La nature ne dit rien à l’enfant ni au jeune homme. Pour en comprendre l’infinie beauté, il faut la regarder avec des yeux déjà vieillis, avec un cœur qui a aimé, qui a souffert.

Jules répéta :

— Très beau ! …oui… Ces maisons et ce petit clocher… n’est-ce pas Brolles ?

— Mais oui ! répondit mon père, joyeux de voir son frère se détendre… C’est Brolles !… Tu reconnais tout ça, hein ?… Et ça, là-bas, au pied du petit bois ?

— C’est la maison du père Flamand… Est-ce qu’il vit toujours ?

— Toujours, figure-toi… mais le pauvre homme est aveugle… Dame ! il a quatre-vingts ans passés… Tu n’iras plus prendre de truites avec lui…

Et, comme l’abbé eut un accès de toux, il s’inquiéta :

— Tu devrais changer de place… J’ai peur que tu n’aies froid, avec ce carreau ouvert…

— Non ! non !… laisse… Je suis content !…

J’examinai alors, tout à loisir, mon oncle retombé dans ses rêveries. Ses traits reprenaient leur place en ma mémoire, qui n’avait gardé, de lui, qu’un pastel effacé. Je me souvenais maintenant de l’avoir connu ; je retrouvais toutes les particularités de ce visage étrange et si laid, de ce corps tordu, auxquels la flamme de deux yeux vifs et rêveurs, inquiets et fé-