Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/202

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roces, enthousiastes et tristes, donnait une vie extraordinaire et déconcertante. Mais combien vieilli ! Il était voûté comme un octogénaire ; sa poitrine étroite et rentrée respirait avec efforts, et parfois, un sifflement de phtisie s’en échappait ; des rides sabraient, dans tous les sens, son masque verdâtre et maigre, et des peaux flasques, pendaient sous son menton. De cette physionomie ravagée, il ne restait de jeune, avec les yeux, que le nez, un nez d’une mobilité surprenante et dont les narines frémissaient comme celles des jeunes étalons.

— Est-ce que tu souffres ?… Est-ce que tu es malade ?… interrogea mon père.

— Non !… Pourquoi me dis-tu ça ?… Tu me trouves changé…

— Changé ! changé !… ce n’est pas le mot… Dame ! écoute donc, c’est comme moi… Les années, ça ne rajeunit pas !…

— Sans doute ! approuva ma mère, qui jusqu’ici n’avait pas ouvert la bouche.

Et d’une voix sèche, elle ajouta :

— Et puis Paris… c’est si malsain !… Mais c’est égal !… Viantais est bien calme, bien triste, quand on est habitué à Paris. On n’y trouve pas des distractions comme à Paris.

Elle appuyait sur ce mot : Paris, avec une sourde rancune contre la ville qui lui renvoyait, ruiné sans doute et malade, un parent qu’il faudrait nourrir et soigner pour rien.