Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/203

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Mon oncle glissa vers ma mère un regard oblique et mauvais, un regard chargé de haine, se rencogna au fond de la voiture, et il demeura silencieux sous le grand chapeau qui enveloppait son visage d’un voile d’ombre.

Nous avions dépassé le village des Quatre-Vents. Le soir arrivait. Une brume dense montait des prairies comme un rêve, noyait les coteaux et les arbres, dont les cimes dépouillées s’effilochaient dans l’atmosphère laiteuse. Quand nous rentrâmes à Viantais, quelques lumières rougeâtres s’allumaient aux fenêtres des maisons. Sur la place, j’aperçus une ombre, l’ombre de M. Robin, qui gesticulait dans le brouillard, et saluait la voiture à grands coups de son chapeau de haute forme ! Et je me sentais le cœur bien gros. Durant tout le trajet, mon oncle n’avait pas une seule fois posé ses yeux sur moi. Pourtant, il ne me faisait plus peur, malgré ses façons bourrues et ses inconvenantes brutalités. Une obscure divination d’enfant m’avertissait que c’était une pauvre âme inquiète et souffrante ; et je suis sûr qu’à ce moment s’il m’avait adressé une parole douce, s’il m’avait embrassé, si, seulement, il m’avait souri, comme il avait souri tout à l’heure à la nature retrouvée, je l’aurais aimé.

Conduit par mon père, qui portait le sac de nuit, il gagna péniblement la chambre bleue, préparée pour lui. L’ascension de l’escalier l’avait époumoné et rendu tout haletant. De plus, il était très surexcité. Depuis