Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/21

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personnages à barbes rousses, penchés au-dessus d’une tête de mort. Puis, une voix, dont j’avais encore dans l’oreille le timbre désagréable, une voix sifflante de pneumonique, toujours pleine de gronderies et de reproches irrités. « Polisson ! » par-ci, « polisson ! » par-là. Et c’était tout !

Je n’éprouvais pas un bien vif désir de le revoir, comprenant, instinctivement, qu’il ne m’apporterait pas un élément nouveau d’affection ou d’amusement, certain aussi que je n’avais rien à attendre d’un mauvais parrain qui, lors de mon baptême, avait refusé de payer les dragées, d’offrir un cadeau à ma mère, et ne me donnait jamais d’étrennes, à la nouvelle année, pas même des oranges ! J’avais entendu dire également qu’il ne m’aimait pas, qu’il n’aimait personne, qu’il ne respectait pas le bon Dieu, qu’il était toujours en colère ; et j’eus une serrée au cœur à l’idée qu’il me battrait peut-être, comme autrefois, avec son martinet. Cependant, je ne pouvais me défendre d’une certaine curiosité, qu’avivaient les exclamations de mon père : « Mais qu’a-t-il pu fabriquer à Paris, pendant six ans ? » Ce point d’interrogation me semblait renfermer un impénétrable mystère ; il me faisait voir l’abbé Jules, dans un lointain obscur et grouillant, entouré de formes vagues, et se livrant à des pratiques défendues, dont je souffrais de ne pas connaître le but… En effet, pourquoi était-il parti ?… Pourquoi ne savait-on rien de sa vie, là-bas ?… Pourquoi revenait-il ?… Quelle impression me causerait-il ? Son corps