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son jardin, qu’il avait laissé inculte, en son désordre charmant de nature. De la maison, l’abbé n’avait meublé que trois pièces — et très simplement — la chambre à coucher, la salle à manger, la bibliothèque. C’est dans cette dernière qu’il se tenait tout le jour, et jusqu’à minuit, heure à laquelle il se mettait au lit. Quelquefois, il écrivait ; le plus souvent, il lisait. Il lisait dans de grands livres, à tranches rouges, si grands, si lourds, qu’il avait peine à les porter tout seul. Sur la porte de sa bibliothèque, il avait écrit en grosses lettres : Défense d’entrer. Et personne, jusque-là, n’en avait franchi le seuil. Il l’avait rangée, sans le secours d’aucun ouvrier ; lui-même, tous les samedis, il l’époussetait, la balayait. Lorsqu’il sortait, il avait toujours le soin de refermer à double tour et de garder la clef avec lui. Et c’était effrayant de considérer cela par le trou de la serrure ! Ah ! il y en avait, des livres, des grands, des moyens, des tout petits, de toutes les formes et de toutes les couleurs, des livres qui, de la plinthe à la corniche, garnissaient les quatre murs, qui s’empilaient sur la cheminée, sur des tables, qui couvraient le plancher même !… Il était également défendu d’entrer dans une pièce, toujours fermée, dont la porte faisait face, de l’autre côté du couloir, à celle de la bibliothèque. Pourtant cette pièce ne contenait qu’une malle et qu’une chaise. L’abbé s’y enfermait à peu près une fois par semaine, durant des heures ! Que se passait-il ?… On n’en savait rien… mais il devait s’y passer des choses qui n’étaient point natu-