Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/220

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Et me tapant sur la joue, il ajouta :

— C’est dommage !… Maintenant, va-t’en…

Ma mère fut très vexée de ce résultat. Si sa haine contre l’abbé s’accrut, elle me tint aussi rigueur de mon insuccès, et m’accabla de reproches.

— Tu n’as pas su t’y prendre… Tu n’es bon à rien… On ne fera jamais rien de toi !…

Elle ne s’en acharna pas moins dans sa volonté de savoir.

Comme elle s’était servie de moi, elle se servit de Victoire, notre cuisinière, l’excitant à des furetages, à des espionnages quotidiens, chez les fournisseurs de mon oncle, qui n’amenèrent que d’insignifiantes découvertes. Sur son ordre et d’après ses indications, Victoire pratiqua le siège de Madeleine, la vieille domestique de l’abbé. Toutes les deux s’attardaient au marché, à la boucherie, chez l’épicier, causant, s’interrogeant, s’exclamant. À la suite de ces entrevues des deux commères, on apprenait des choses intéressantes et mystérieuses qui avivaient encore, sans la satisfaire, la curiosité insatiable de mes parents.

On sut ainsi que, pendant son installation, l’abbé s’était montré colère, bousculant tout, injuriant les ouvriers, se livrant à de telles fureurs, qu’aucun ne voulait plus travailler pour lui. Depuis, il s’était bien apaisé, ne s’emportait plus, ne se plaignait point. Il semblait plutôt triste. Madeleine d’ailleurs, ne le voyait guère qu’aux heures des repas, et le matin, au retour de sa messe, alors qu’il se promenait dans