Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/226

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préoccupations de famille, et mirent dans la maison un peu de cette joie spéciale que je connaissais si bien. Moi, chaque après-midi, je me rendais au presbytère, mélancoliquement, mes livres sous le bras. Au cours de la répétition, le curé Blanchard me demandait quelquefois :

— Tu n’as pas revu ton oncle ?… Quel drôle de corps tout de même !…

Et, comme je paraissais triste à sa lourde gaîté de prêtre gras et bon vivant, il imagina de m’apprendre la flûte, en même temps que le De viris.

— C’est un bel instrument ! disait-il… Et ça te remontera le moral.

C’était sans doute aussi pour me remonter le moral que, le jeudi, lorsque j’avais été sage, mon père m’emmenait avec lui, dans son cabriolet. Je l’accompagnais en ses tournées de malades. Et nous roulions tous les deux, sans échanger une parole, tous les deux secoués sur les ornières des chemins creux, comme sur une barque que soulève la houle. Dans les villages, devant les maisons, où gémissaient les pauvres diables, nous descendions de voiture ; mon père attachait la longe du cheval aux barreaux de la fenêtre, et tandis qu’il pénétrait dans les tristes logis, moi, resté sur le pas de la porte, j’apercevais, à travers l’ombre des pièces enfumées et misérables, j’apercevais des visages douloureux et jaunes, des mentons levés, des dents serrées et des yeux fixes, profonds, les yeux des êtres qui vont mourir. Le cœur gros, épeuré par