Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/228

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son maître changeait beaucoup. Ses crises de colère s’espaçaient de plus en plus ; il avait devant des plantes, devant des insectes, des attendrissements, des extases ; et les oiseaux, à qui il jetait des miettes de pain et des grains de blé, le suivaient parfois, en tourbillonnant autour de lui. Ne le voyant presque plus dans le pays, on s’habitua à penser aux Capucins sans trop de frayeur, bien que la bibliothèque et la malle hantassent parfois les conversations des bonnes gens, le soir, à la veillée.

Les incidents que je viens de rapporter avaient renforcé notre amitié avec le juge de paix et sa femme d’un plus intime lien. Ma mère croyait sans doute trouver là un sérieux appui moral et — qui sait ? — en cas de procès dans l’avenir, un sérieux appui matériel. Mme Robin, elle, était naturellement heureuse de jouer son rôle de confidente, dans une comédie dont elle n’avait pas à souffrir, et qui régalait, au contraire, sa méchanceté d’une suite de complications imprévues et bouleversantes. Elle ne pouvait, non plus, pardonner à mon oncle son refus d’assister à un dîner, pour lequel elle s’était mise en frais de coquetterie. Après deux ans, elle gardait encore, très vive, la rancune de cette impolitesse. Ces deux dames se voyaient donc plus souvent que jamais. Pour un oui, pour un non, ma mère allait chez son amie ; de son côté, Mme Robin, pour un non, pour un oui, accourait chez nous, l’air important et mystérieux. Toutes les deux, elles ressentaient le besoin de se consulter, à propos de la moindre vétille,