Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/232

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corps, si débile pourtant, s’arquaient à chaque pas, comme sous le poids d’un roitelet les scions frêles d’un arbrisseau.

Je n’avais pas eu souvent l’occasion de me trouver seul avec lui. Presque jamais le pauvre être ne sortait ; et chez lui, ou bien à la maison, toujours s’interposait entre nous l’ombre glaçante de la mère. Nous ne nous parlions pas, mais nos yeux parlaient à défaut de nos bouches, et les siens m’avaient longuement raconté ses douleurs.

— Assieds-toi là, près de moi, me dit-il en m’apportant un tabouret.

S’aidant de mon épaule, il se rassit à sa place, et me considéra, sans prononcer une parole. Moi non plus, je ne disais rien. Un peu gêné, un peu attristé même, comme devant un homme qu’on sait supérieur à soi, je l’examinais. Il avait les cheveux blonds et mats, de cette matité qu’ont les fourrures des bêtes malades ; son visage exsangue, flétri, se teintait d’une légère tache rosée aux pommettes trop saillantes. L’on sentait qu’une ossature étiolée, que des membres rabougris, flottaient sous la blouse d’indienne qui l’enveloppait jusqu’à mi-jambes. Ses mains étonnaient, à cause de leur longueur et de leur sécheresse, des mains comme jamais je n’en vis à aucun enfant. Et ses yeux aux prunelles d’un bleu sombre inquiétaient aussi par l’étrange profondeur du regard et la précocité des pensées qu’elles révélaient.

Le regard de Georges toujours fixé par moi, me