Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/233

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devint intolérable ; il me donnait sur le crâne l’impression d’une chose trop pesante. Tout à coup, il me dit :

— Jamais tu n’as songé à t’en aller, toi !… à t’en aller loin… bien loin ?…

— Non ! répondis-je… Pourquoi me demandes-tu ça, Georges ?

Il se tourna du côté de la fenêtre, et agitant sa main longue et sèche :

— Parce que ça doit être beau, les pays… là-bas… au-dessus des toits… les pays, plus loin, au-dessus des forêts… Hier soir, pendant que mes parents étaient chez toi, j’ai pensé à m’en aller… plus loin que tout ça encore… Je me suis levé, je me suis habillé… Mais la porte était fermée… Alors, je me suis recouché, et j’ai rêvé à des choses… C’est-y loin, l’Amérique, dis ?

— Pourquoi me demandes-tu ça, Georges ? répétai-je.

— Parce que l’année dernière, j’ai lu un livre… C’étaient des enfants… Ils habitaient des plaines, des plaines, des bois, des bois… Ils couraient au milieu de belles fleurs, après de belles bêtes… Sur les arbres, il y avait des perroquets, et des oiseaux de paradis, et des paons sauvages… Et ils n’avaient pas de père, pas de mère !… Ça se passait en Amérique… C’est-y loin ?

— Je ne sais pas ! dis-je, le cœur vague.

— Tu ne sais pas ?… Voilà, je voudrais aller en Amérique… ou bien autre part… Quelquefois, j’ai vu