Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/235

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fant, dans cet attachement d’animal qui vous rive même à la maison où l’on a été malheureux, même à la famille qui vous éloigne de sa tendresse. Et, très ému, je lui parlai ainsi :

— Écoute, Georges, ce n’est pas bien, ce que tu dis là… C’est un péché ! et Dieu t’en punira… Tu n’aimes donc pas ton père ni ta mère, que tu veux les quitter ?

Le pâle enfant s’agita sur sa chaise. Une flamme sombre traversa ses prunelles, devenues presque terribles pour une si fragile créature. Et crispant les poings, il cria d’une voix rauque :

— Non !… non, je ne les aime pas… Non !

— Pourquoi ? balbutiai-je… Parce qu’ils te battent, parce qu’ils te renferment ?

— Non… autrefois, j’ai été battu ; autrefois, j’ai été renfermé… Et je les aimais.

— Alors pourquoi ne les aimes-tu plus aujourd’hui ?…

Georges laissa tomber sa tête dans ses mains, et il sanglota :

— Parce qu’ils font des saletés… des saletés… des saletés !…

Ses larmes tournant soudain en fureur :

— Des saletés ! répéta-t-il… La nuit, ils s’imaginent que je dors… Et je les entends !… D’abord, j’ai cru qu’ils se battaient, qu’ils s’égorgeaient… Le lit craquait… ma mère hurlait… la voix étouffée, la voix étranglée… Mais non ! une fois, j’ai vu… c’étaient des saletés !…