Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/239

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de Dieu ! » poussés contre les autorités locales. Grâce à sa qualité d’ancien capitaine, il occupait à Viantais une situation en vue. D’abord, il figurait en grand uniforme dans les cortèges officiels, et puis, il rendait de nombreux services aux mères de famille qui avaient des fils à l’armée. S’agissait-il d’obtenir un congé, une exemption, une faveur quelconque, c’est au capitaine Debray qu’on s’adressait ; il indiquait la marche à suivre, rédigeait les suppliques en termes du métier, accablait les bureaux de recrutement et le ministère de la guerre de ses recommandations. Très obligeant, il jouissait donc d’une petite popularité et il finit par se consoler de n’être pas pompier en empaillant avec rage et conviction tous les putois et belettes tués dans les taillis d’alentour. Chaque famille possédait au moins un spécimen du talent de notre cousin, et l’on ne pouvait entrer à cette époque dans une maison sans y voir à la place d’honneur un de ces animaux assis sur une planchette de bois et se livrant à des gesticulations badines, généralement empruntées à la mimique des écureuils. Par une tendance vers l’idéal qu’ont généralement les vieux militaires retraités, le cousin corrigeait, dans la zoologie des bêtes carnassières, ce que celles-ci ont de trop répugnant et de trop féroce. Il vivait très retiré avec sa domestique, Mélanie, une grosse femme de quarante-cinq ans, qu’il appelait familièrement : « Ma poule. » Les intimes relations du maître et de la servante étaient connues de tous. Ils ne s’en cachaient ni l’un ni l’autre, et un