Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/252

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est une cochonnerie ; 4° Dieu est une chimère… Tu aimeras la nature ; tu l’adoreras même, si cela te plaît, non point à la façon des artistes ou des savants qui ont l’audace imbécile de chercher à l’exprimer avec des rythmes, ou de l’expliquer avec des formules ; tu l’adoreras d’une adoration de brute, comme les dévotes le Dieu qu’elles ne discutent point. S’il te prend la fantaisie orgueilleuse d’en vouloir pénétrer l’indévoilable secret, d’en sonder l’insondable mystère… adieu le bonheur ! Tu seras la proie sans cesse torturée du doute et de l’inassouvi… Malheureusement, tu vis dans une société, sous la menace de lois oppressives, parmi des institutions abominables, qui sont le renversement de la nature et de la raison primitive. Cela te crée des obligations multiples, obligations envers le pouvoir, envers la patrie, envers ton semblable — obligations qui, toutes, engendrent les vices, les crimes, les hontes, les sauvageries qu’on t’apprend à respecter, sous le nom de vertus et de devoirs… Je te conseillerais bien de t’y soustraire… mais il y a le gendarme, les tribunaux, la prison, la guillotine… Le mieux est donc de diminuer le mal, en diminuant le nombre des obligations sociales et particulières, en t’éloignant le plus possible des hommes, en te rapprochant des bêtes, des plantes, des fleurs ; en vivant, comme elles, de la vie splendide, qu’elles puisent aux sources mêmes de la nature, c’est-à-dire de la Beauté… Et puis, ayant vécu sans les remords qui attristent, sans les passions d’amour ou d’argent qui salissent, sans