Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/27

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habitude de citadin, qui a beaucoup traîné, des dossiers sous le bras, dans les greffes et les tribunaux, il ne se montrait qu’en chapeau de forme haute, en redingote de casimir noir, en cravate blanche, et aussi en galoches, — la seule concession qu’il eût faite aux mœurs locales. Sans qu’on en connût les raisons historiques, on le disait d’une incorruptibilité presque farouche — un vieux Romain — et cependant, à la veille des audiences, on voyait entrer chez lui des paysans avec des paniers bondés de volaille et de gibier, qu’ils remportaient vides, à la suite de quelque discussion juridique, sans doute. Ses adversaires politiques eux-mêmes rendaient justice à son indépendance et à sa dignité, bien qu’il les condamnât toujours et de parti pris, au maximum de la peine, quand ils avaient le malheur de paraître à sa barre. Enfin, aucun professeur de droit n’était plus ferré que lui sur le code civil, qu’il pouvait réciter de mémoire, tout entier, dans l’ordre inflexible des articles. Du moins, il aimait à se vanter de ce tour de force, et, quoique très prudent, proposait à qui voulait d’extravagants paris que personne, jusqu’ici, n’avait osé relever, ce qui lui valait une réputation de jurisconsulte phénomène dans tout le canton et au-delà. Il savait aussi, de la même manière, les arrêts de la Cour de cassation ; il savait tout. Mais il avait un curieux défaut d’articulation dans la langue. Il prononçait les B comme les D, et les P comme les T. Aussi, c’étaient souvent des combinaisons de mots fort comiques, dont on s’éton-