Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inquiétantes, des images de choses connues, de choses rêvées, de choses devinées, qu’elles s’agitent et grimacent. Le mouvement de mon cœur s’accélère ; mes tempes battent, un feu nouveau circule dans mes veines… J’entends mon oncle, dont la respiration s’enrauque, s’exhale en soupirs entrecoupés… Pourquoi ?… Je me hasarde à l’examiner de coin… ses yeux sont clos toujours, toujours ses bras pendent, et son corps est secoué de temps en temps d’un frisson nerveux… Dort-il ? J’ai peur… Je voudrais m’enfuir…

— Continue.

Et je reprends la lecture d’une voix qui tremble…

« Elle l’entourait de ses bras frais et bruns, elle le couvrait de ses longs cheveux, ses grands yeux noirs lui jetaient une langueur brûlante et cette ardeur du sang, cette volupté tout orientale qui sait triompher de tous les efforts de la volonté, de toutes les délicatesses de la pensée. Raymond oublia tout, et ses résolutions, et son nouvel amour, et le lieu où il était. Il rendit à Noun ses caresses délirantes. Il trempa ses lèvres dans la même coupe, et les vins capiteux qui se trouvaient sous leur main achevèrent d’égarer leur raison… »

Il me semble que mon oncle a parlé… Je m’arrête… D’ailleurs j’ai besoin de reprendre haleine. Ma gorge se serre, mes cheveux tout moites se collent à mon crâne, et je ressens une douleur aiguë au bas de la nuque.

— Va ! mais va donc !