Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/285

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au-dessus de l’horizon rapproché, les ombres tordues, échevelées des diaboliques pommiers. C’étaient, parfois, sur les talus de la route, les effrayantes silhouettes des trognes de chêne, courtes, rases, ébranchées, pareilles, dans la nuit lugubre, à une fuite de monstres embryonnaires, à une galopée de grosses larves bossues, sortant du néant. C’était parfois, sans un arbre, sans une silhouette, sans un talus, la montée de la route, plus pâle entre l’abîme des ténèbres uniformes, et tombant sur elle un haut mur de ciel blafard, sans espace, sans lointain, sans profondeur, qui l’enfermait de sa masse plombée, limite extrême de la terre et du firmament… J’avais peur ; et le bedeau lui-même toussait avec ostentation, pour se rassurer un peu.

Affaibli par la transpiration, épuisé par la souffrance, mon oncle dut encore s’arrêter. Comme ses jambes tremblaient, refusaient de porter son corps, il s’assit sur un mètre de pierre, et longtemps il resta là, affaissé, le ciboire entre les genoux, la tête dans les mains. Et c’était sinistre, dans cette morne nuit, de l’entendre hoqueter, râler, happer la vie aux bouffées du vent qui passait.

— Encore dix minutes, monsieur l’abbé, encouragea le bedeau. J’aperçois, là-bas, les lumières de Frélotte.

— Dix minutes !… Jamais je n’arriverai !… J’étouffe… Je vais mourir…

Il voulut se relever, mais il retomba, et le ciboire roula sur le sol, glissa dans le fossé, en tintant.

— Sainte Vierge ! cria le bedeau !… Le corps de Notre