Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/284

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faisait derrrlin !… derrrlin ! Les gens se montraient aux portes, se penchaient aux fenêtres, se découvraient, se signaient ; dans la rue, des femmes s’agenouillaient front baissé, mains jointes. Un petit cortège se forma derrière mon oncle, se grossit à tous les carrefours, devint une véritable procession. Et la tintenelle faisait derrlin !… derrlin ! à intervalles réguliers. J’étais fier de mon rôle, et chaque fois que nous passions sous un réverbère, je m’amusais à regarder mon ombre et l’ombre de la lanterne, grandir, s’allonger sur la chaussée, sur les trottoirs, sur les façades blanches des maisons avec, au bout, le reflet dansant de la lumière rouge… Derr… lin… derr… lin !… À la sortie du bourg, mon oncle s’arrêta, le souffle lui manquait.

— J’étouffe ! me dit-il… Je suis en nage… Et ça, ça… ça, qui me gêne horriblement !… Tiens.

Il me tendit le ciboire, essuya avec un pan du surplis son visage baigné de sueur, et durant quelques secondes, il aspira des gorgées d’air, avidement, et nous repartîmes.

La nuit était profonde, silencieuse, troublée seulement par nos pas, et par le rauque sifflement qui s’échappait de la poitrine de mon oncle. Le bedeau n’agitait sa tintenelle que lorsqu’il entendait, au loin, des voix humaines, ou des cahots de charrette. Et nous marchions, sous le ciel terne et bas, que des nuées livides envahissaient maintenant, nous marchions entre les grandes nappes d’ombre qui couvraient la campagne, entre les grandes ombres qui couraient