Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/287

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profanation, comme un sacrilège, le bedeau marmottait des prières à voix basse. De temps en temps, il se détournait, la face blême, l’œil craintif, effaré de ce qu’un prêtre traitât le bon Dieu aussi cavalièrement. À l’entrée du village, il agita sa tintenelle : derr… lin !… derr… lin ! On entendit des claquements de porte, des bruits de sabots. Des ombres passèrent, des visages apparurent dans le rectangle des fenêtres allumées… Derr… lin !… derr… lin ! Deux chiens longuement aboyèrent, d’autres chiens répondirent… Et la tintenelle faisait derr… lin ! derr… lin ! Nous traversions des cours, longions des meules, des clôtures basses au-dessus desquelles des tignasses d’arbres s’échevelaient… Et la tintenelle faisait derr… lin !… derr… lin !

Devant la maison de la malade, un cabriolet stationnait, et je reconnus, éclairé par un paysan, mon père qui dénouait la longe de son cheval. Il rangea la voiture, pour laisser le passage libre, et je l’entendis qui disait d’une voix étonnée.

— Tiens, mais c’est Albert !… Tiens, mais c’est Jules !

Puis il vint se mêler à la foule des passants et des personnes, accourus aux derr lin de la tintenelle.

Sur un haut lit drapé d’indienne, parmi des blancheurs de linge, où vacillaient des reflets de lumière, la malade reposait, immobile, le visage couleur de cire, les dents serrées. Ses mains, maigres et jaunes, ne remuaient pas, sur le drap où elles étaient étendues. Les narines pincées, les paupières fixes, elle semblait