Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/288

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morte. Près du lit, une femme sanglotait, courbée, la tête dans son tablier. Et, depuis la porte jusqu’à la funèbre couche, des voisines agenouillées priaient, des voisins debout, le front baissé, tournaient tristement leurs casquettes dans leurs mains. Entre la cheminée, où brûlaient des racines d’ajoncs, et le lit, contre le mur enfumé, une petite table avait été préparée. Au milieu de cette table, recouverte d’un linge blanc, un crucifix campagnard, flanqué de deux bougies, un vase plein d’eau bénite où trempait un aspergeoir fait de brindilles de bouleau ; une assiette contenant de l’étoupe roulée, de la mie de pain ; et, près de l’assiette, un bol rempli d’eau, pour les ablutions du prêtre. Tout l’éclairage de la pièce se concentrait vers le lit, vers le visage de la mourante, et l’ombre se tassait, au-dessus, dans les draperies d’indienne…

Mon oncle s’arrêta sur le seuil de la porte, et devant le spectacle de la mort, devant le spectacle de la prière, son visage, tout à coup, se transfigura. Une douloureuse pitié mouilla sa bouche qui, tout à l’heure, blasphémait ; une sérénité presque auguste passa dans ses yeux, que, tout à l’heure, la colère bridait atrocement. Par un rude et puissant effort de sa volonté, il fit taire la souffrance qui lui tenaillait la poitrine, qui lui déchirait la gorge, et ce fut en étendant la main d’un geste noble, tranquille et bon, qu’il s’avança dans la chambre misérable.

Pax huic domui, dit-il d’une voix douce et compatissante.