Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/292

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de vomissements ; après quoi, étourdi, la tête prise de vertiges, le corps secoué de frissons, il avait dû se recoucher. Mon père l’ausculta, l’examina avec le plus grand soin, et, devant la gravité du mal, il ne put dissimuler son inquiétude.

— Ce ne sera rien !… dit-il… Mais, est-ce que cela te ferait quelque chose, si l’appelais un confrère en consultation ?… Tu sais, je suis une patraque, moi… Et puis on ne se rend jamais compte des choses, quand il s’agit d’une personne de sa famille.

Mon oncle répondit d’un air résigné : — À quoi bon ?… Je sens que tout en moi se détraque, que je n’ai plus de longs jours à vivre… Ce que je voudrais, c’est qu’on me laissât mourir en paix à ma fantaisie… Si je souffre trop, tâche de me soulager un peu. Voilà tout ce que je demande…

Avec une mélancolie douloureuse, il ajouta :

— Ma mort, ça n’a pas d’importance… C’est toujours triste de voir tomber les vieilles maisons, les vieux arbres, les vieux clochers… Mais moi !… Je n’ai abrité personne… à personne je n’ai donné des fruits… rien en moi n’a chanté, jamais, d’une belle croyance, d’un bel amour… Si je meurs bien, si je m’en vais, calme, sans regrets, sans haine, ma mort aura été la seule bonté de ma vie… et, peut-être, son seul pardon !…

S’interrompant, car l’oppression de sa poitrine le faisait haleter, il reprit quelques instants après :

— Ce que je voudrais aussi, c’est qu’on transportât