Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/324

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aux Capucins. On constata que les cachets qui fermaient la malle avaient été respectés, puis M. Servières et le commissaire de police apportèrent la malle dans la cour, et la calèrent, avec précaution, sur les fagots. Ce fut un moment d’émotion vive, et presque de terreur. Le mystère qui gisait au fond de cette malle inquiétait. Et il allait se dissiper en fumée ! On le redoutait, mais on aurait voulu le connaître. Et tous, nous avions les yeux tendus sur la malle, des yeux pointus qui s’efforçaient de traverser les planches, les affreuses planches vermoulues et gondolées, lesquelles nous dérobaient… quoi ?… Le juge de paix se rapprocha de mon père, et très pâle, il dit :

— Si c’était plein de matières explosibles !

Mon père le rassura.

— Si ç’avait été comme ça, fit-il, c’est moi qu’il aurait chargé de mettre le feu à la malle.

M. Servières inséra des bouchons de paille flambante dans l’entrelacement des fagots. D’abord, d’épaisses colonnes de fumée montèrent dans l’air tranquille, à peine inclinées par une légère brise de l’est. Peu à peu, le feu couva, pétilla, la flamme grandit, tordant les branches sèches, une flamme jaune et bleuâtre qui bientôt vint lécher les flancs de la malle ! Et la malle s’alluma, glissant, s’affaissant dans le brasier. Les côtés, vermoulus et très vieux, s’écartèrent, s’ouvrirent brusquement ; un flot de papiers, de gravures étranges, de dessins monstrueux s’échappèrent, et nous vîmes, tordus par la flamme, d’énormes crou-