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— Oh ! nous vous en devons, des dîners !… nous vous en devons plus de cent !… C’est honteux !… Mais quand nous aurons nos meudles…

On parlait alors de ces meubles fameux, pour qui les maisons de Viantais étaient ou trop grandes ou trop petites, ou trop sombres, ou trop claires, ou trop au soleil, ou trop humides. Mme  Robin racontait les splendeurs de sa chambre à coucher, en reps bleu ; du salon, en damas jaune. Elle disait sa lingerie, brodée de rouge ; sa verrerie relevée de filets dorés ; son service à café, tout en chine, dont on ne se servait jamais, étant trop fragile, et qui ornait la vitrine de son buffet-bibliothèque en acajou. M. Robin, lui, s’étendait sur la magnificence de sa cave à liqueurs, qui contenait « un comtartiment tour les cigares » et de son bureau, « un dureau en chêne sculpté et à secret ».

— Enfin, répétait-il, vous verrez tout ça, quand nous aurons nos meudles !

La vérité, c’est que les Robin, confiants dans les promesses du sénateur, attendaient un avancement prochain, et ne voulaient pas payer les frais de deux déménagements. Ils attendirent douze ans, dans la maison des demoiselles Lejars et, durant ces douze années, ils ne cessèrent de s’excuser, à chaque invitation nouvelle.

— Oh ! nous vous en devons, des dîners !… C’est honteux vraiment !… Mais quand nous aurons nos meubles !…