Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/35

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deux vêtues de même façon, toutes deux pourvues d’un goître monstrueux — une des curiosités de Viantais. L’appartement était triste, petit, réduit aux meubles indispensables. Les Robin n’avaient pas de domestiques et ne recevaient point.

— Comment voulez-vous, s’excusait Mme Robin, que nous forcions nos amis à venir dans un taudis pareil ?… Mais quand nous aurons une maison, quand nous aurons nos meubles !… Alors !

Ses réticences, et le regard et le balancement de tête qui les accompagnaient, cachaient des promesses de fêtes inouïes, de dîners extraordinaires, insoupçonnés dans le pays. Il y avait, dans ce « quand nous aurons nos meubles », prononcé sur un ton de voix mystérieux et revendicatif, tout un jaillissement de lumières versicolores, tout un éblouissement d’argenterie, de cristaux, de porcelaines ; on y voyait s’allumer la flamme rouge des vins rares, défiler des pièces parées, s’ériger des architectures odorantes de biscuits et de nougats, se balancer des grappes de fruits dorés, ce qui faisait dire à des gens de Viantais :

— Oh ! les Robin !… Il paraît que personne ne sait recevoir comme eux… Vous verrez ça quand ils auront leurs meubles.

On les consultait sur des questions d’étiquette, sur « ce qui se fait » et sur « ce qui ne se fait pas », sur l’ordonnance symbolique du dessert, étude grave et passionnante. Chaque fois qu’ils acceptaient à dîner chez nous, M. Robin s’écriait :