Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/45

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était née, et qu’elle rêvât de vivre en un monde plus relevé ; elle aurait voulu autour d’elle plus de bonté, plus de retenue, plus de douceur. Et puis elle s’était mariée. Mon grand-père, que je n’ai pas connu, était, paraît-il, un homme très violent, despote, coureur de filles et grandement ivrogne. Il la maltraitait, comme il maltraitait tout le monde, sans raison et sans pitié. Éleveur de chevaux, obligé, par métier, de suivre les foires lointaines, vivant la plupart du temps dans les auberges, avec les maquignons, c’était là, sans doute, qu’il avait acquis ces déplorables façons. Il mourut d’un coup de pied de cheval dans le ventre à la foire de Chassans, et ma grand-mère, encore jeune, resta veuve avec trois enfants, mon père, ma tante Athalie, enlevée à dix-huit ans, d’un mal de poitrine, et mon oncle Jules.

Jamais on n’avait vu un enfant comme était Jules ; sournois, tracassier, cruel, il ne se plaisait que dans les méchants tours. Son frère et sa sœur avaient beaucoup souffert de lui, et sa mère se désespérait, car elle avait beau supplier ou punir, réprimandes et prières ne faisaient que surexciter son indomptable nature.

— C’est tout le portrait de son père, se disait en pleurant la pauvre femme.

Et de fait, elle remarquait avec effroi, chez son fils, les mêmes gestes, les mêmes regards qu’avait son mari, quand celui-ci, après de longues absences, rentrait à la maison, braillant, sacrant, puant le vin de l’auberge et le crottin d’écurie.