Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/46

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Au collège, où on le mit de très bonne heure, Jules battait ses camarades, les dénonçait, se révoltait contre ses professeurs. Mais il était très intelligent, travailleur même et toujours le premier de la classe. C’est à cela qu’il dut de n’avoir pas été renvoyé plus de vingt fois. De retour à la maison, ses déplorables instincts, nourris par une vie plus libre et oisive, se développèrent encore. Il donna le scandale dans le pays par sa conduite libertine, fréquenta les cabarets, se rendit coupable de nombreux vols domestiques. On ne pouvait lui adresser la moindre observation qu’il ne s’emportât, menaçât de tout casser. Il avait des colères si terribles que tout le monde tremblait devant lui, et que lui-même, la crise passée, restait, pendant des heures, malade, le cerveau brisé, et tout pâle, semblable à un épileptique terrassé par son mal. Quand sa mère lui demandait à quelle carrière il comptait se préparer, il ne répondait rien, sifflotait un air et lui tournait le dos. Elle essaya de le mettre chez un avoué, à Mortagne ; mais, au bout de trois jours, il s’échappa, après avoir sali de dessins obscènes une quantité considérable de papier timbré. En même temps, il s’était pris d’une véritable passion pour la lecture ; il lisait de tout : des romans, des vers, des livres de science, de philosophie, des journaux révolutionnaires que lui prêtait le pharmacien, vieux républicain exalté et dément, qui ne rêvait que de guillotine et de bonheur universel. Tous les deux, ils travaillaient à de vagues cataclysmes, à des renversements pro-