Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/51

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cette volonté bourrue, « qui le changeaient un peu » de ce qu’il avait l’habitude de voir et d’entendre, autour de lui. Comme le grand vicaire exprimait, un jour, des doutes sur le sérieux de la vocation de Jules, et disait, en penchant la tête sur ses mains jointes : « Son âme bouillonne, Monseigneur… elle bouillonne horriblement… J’ai bien peur qu’elle ne reste conquise à l’infidélité et au péché », l’évêque répondit :

— Nous la calmerons, monsieur l’abbé, nous la calmerons… Et vous verrez que ce gamin-là ira loin, très loin… Il honorera l’Église.

Puis, après un silence, d’une voix pleine de regrets, il ajouta :

— Quel dommage qu’il soit si laid, si mal bâti !

Jules n’aimait point ses condisciples, fuyait autant qu’il pouvait leurs entretiens et leurs jeux. Dans les cours, à la promenade, il restait à l’écart des groupes, en sauvage, marchant avec acharnement, poussant du pied de grosses pierres, secouant les arbres, paraissant toujours emporté vers des buts de destruction. Parmi les plus fervents et les plus intolérants de ses camarades, il avait flairé l’ordure des amitiés suspectes, surpris d’étranges correspondances, et souvent il s’amusait à les poursuivre de plaisanteries cyniques et de sales propos, à les tenir sous l’incessante terreur d’une dénonciation, d’une honte publique, étalée devant les maîtres. Il dédaignait ces jeunes gens, joufflus et roses, à l’esprit esclave, à l’âme ignorante, qui apprenaient la foi, comme on apprend la cordonnerie,