Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/60

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fils, non tel qu’il était en ce moment avec son visage embrasé par la foi, mais tel qu’il s’était présenté, avec son rire effrayant de démon, le jour où il lui avait annoncé son désir d’entrer au grand séminaire. Et, par delà les paroles, humiliées et contrites, qui faisaient couler tant de larmes heureuses autour d’elle, elle entendait toujours son fils éructer, comme un vomissement, ces mots impies :

— Je veux me faire prêtre, nom de Dieu !… Prêtre, sacré nom de Dieu !


Ça n’était pas fini, ainsi que l’avait prédit le curé.

À l’évêché, l’abbé Jules conquit très vite une sorte d’omnipotence bizarre. Comme il fallait passer par lui pour arriver jusqu’à l’évêque, que l’évêque, de son côté, n’arrivait à ses subordonnés que par l’entremise de son secrétaire intime, Jules profita de cette situation pour terroriser les petits vicaires et les petits desservants, principalement ses anciens camarades du séminaire. Il s’amusa à bouleverser tous leurs plans, à anéantir leurs pauvres ambitions, à les entourer de persécutions si ingénieuses et si raffinées que plusieurs d’entre eux, à bout de patience, quittèrent le diocèse, ou se défroquèrent.

— Tant mieux, tant mieux, disait l’abbé… c’est de la vermine de moins.

Il parvint à exercer, autour de lui, une tyrannie implacable qui n’allait pas sans une gaîté sinistre, et qui, souvent même, n’épargna point le vieux prélat,