Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/67

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on ne s’abordait qu’avec une circonspection extrême, et le trouble était tel qu’on se croyait revenu aux temps de la Terreur. Les enfants de chœur ne buvaient plus le vin des burettes et, au retour des enterrements, les charitons, ivres, ne s’abattaient plus dans les fossés de la route, la croix entre les jambes. Il y eut des déplacements de très vieux curés, qui déterminèrent une véritable émotion publique, des exécutions sommaires injustifiées, des atteintes portées à d’antiques coutumes, qui furent considérées comme des sacrilèges. Le curé de Viantais que son âge, ses vertus, les liens d’amitié qui l’unissaient à la famille Dervelle semblaient devoir protéger plus qu’aucun autre, ne fut pas épargné. Dans une lettre pleine d’impertinences et de duretés, il reçut l’ordre de renvoyer sa nièce, orpheline de dix-huit ans, bossue, à moitié idiote, qu’il avait charitablement recueillie, et dont « la présence sous son toit, à sa table, était un continuel outrage aux bonnes mœurs, un sujet de démoralisation pour les jeunes vicaires ». Il dut, aussi, après injonction formelle, cesser les visites qu’il faisait aux sœurs de l’Éducation chrétienne, et borner ses relations avec le couvent aux brèves nécessités de son ministère. Ce fut un coup terrible pour l’excellent homme. De pareils soupçons, à son âge ! Qui donc aurait pu jamais imaginer cela ! Pendant plusieurs semaines, il en demeura abasourdi, et, pour ainsi dire, idiotisé. Il ne pouvait se résoudre à croire que cela fût vrai, il se persuadait qu’il avait mal lu, qu’il avait