Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/83

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hennissement. La prendre, la renverser dans la sente, la coucher sur l’herbe qu’elle venait de cueillir, il y pensa. Pétrir avidement cette chair nue, et, vautré sur elle, l’obliger à se débattre sous l’étreinte de ses bras, à crier sous la morsure de sa bouche, il l’aurait voulu. Mais si ardente, si impérieuse que fût la tentation, il n’osa point. Une inquiétude vague, mêlée à une inconsciente pudeur, le retenait. Et puis, il ne savait que dire à cette fille, il ne savait comment l’aborder, il cherchait une parole, un geste, un moyen, et il ne les trouvait pas. Ses doigts impatients se crispaient dans l’herbe ; il en arrachait des poignées que, par un mouvement machinal, il portait à sa bouche et qu’il mordillait ensuite bestialement. Enfin pour rompre un trop long silence qui le gênait, pour s’enhardir un peu, il demanda d’une voix tremblante, angoissée :

— Comment t’appelles-tu ?

— Je m’appelle Mathurine, répondit la paysanne, après un moment d’hésitation.

D’un regard farouche, l’abbé fouilla la campagne autour de lui ; l’ombre s’épaississait, les champs étaient déserts, aucune silhouette d’hommes ou de bêtes, sur le ciel, n’apparaissait. Cela le rassura.

— Et où demeures-tu ? reprit-il d’un ton plus ferme.

La paysanne désigna, à trois cents mètres de là, sur la gauche, une masse d’ombre, au milieu de laquelle des maisons se devinaient, vaguement, parmi des arbres.

— Là-bas ! fit-elle.