Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/84

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L’abbé tendit l’oreille ; pas un bruit n’arrivait jusqu’à eux ; pas un, sinon le frémissement lent et continu de la nuit tombante.

Par la pensée, il dévêtit Mathurine, se la représenta impudique et toute nue, et déjà il vit, soulevant ses voiles grossiers, l’ardente fleur de sa beauté sexuelle, s’offrir, lascive, effrénée, aux curiosités, aux emportements de sa luxure. Son cerveau s’exalta.

— Et tes amoureux ?… Tu as des amoureux, dis ?… Qu’est-ce qu’ils te font ?… Tu couches avec ton père, avec ton frère, dis ?… Qu’est-ce qu’ils te font ?… As-tu jamais rêvé aux caresses d’un bouc, d’un taureau ?… Je serai ce bouc, je serai ce taureau… Veux-tu que je m’asseye près de toi, et que je te confesse ?… Nous insulterons le bon Dieu… Veux-tu ?… Réponds-moi…

La fille ne répondit pas. Elle ne comprenait rien à ce langage de fou, à ces mots qui désolaient le silence. Mais, effrayée par la mimique désordonnée du prêtre, elle voulut se lever.

— Non ! commanda-t-il… non !… ne te lève pas… ne t’en va pas… Reste… Tu es belle… l’odeur de ta peau me grise… Et il fait nuit… Personne ne peut nous entendre… Pourquoi as-tu peur ?… Réponds-moi.

La fille ne répondit pas.

Il pensa :

— Elle va résister, appeler peut-être… Je lui donnerai vingt sous et elle se taira… Mais se taira-t-elle ?

Il tâta la poche de sa soutane, s’assura qu’il n’avait pas oublié son porte-monnaie.