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Page:Mirbeau - La Nuit d’avril, paru dans l’Écho de Paris, 14 avril 1891.djvu/3

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M. Émile Blavet (intérieurement)

Directeur de l’Académie nationale de musique !… Au premier abord, cela me semble, à moi-même, prodigieux… que cette chose soit possible, voilà qui me stupéfie. Il est vrai que l’Opéra a été bien galvaudé par Gailhard, par mon vieux camarade Gailhard… Gailhard c’est un vieil ami, je ne veux pas en dire du mal… mais non, là, vrai, du moment que ce vieux Gailhard a pu être nommé là, cela laisse la porte ouverte à toutes les ambitions, les plus inattendues !… Émile Blavet directeur de l’Opéra !… Tout de même, j’avoue que c’est drôle, d’une drôlerie qui dépasse toutes les autres !… Cela me produit un effet bizarre, analogue et inverse à celui que j’éprouverais, si quelqu’un venait m’annoncer que l’archevêque de Paris est candidat à la direction des Folies-Bergère !… C’est ça, dans son genre !… Et cependant, j’ai des chances… D’abord, je suis de Toulouse, ensuite, je suis bon garçon… Et puis la musique m’est aussi totalement inconnue que le chaldéen, ou le télégut… Non seulement, elle m’est inconnue la musique, mais ce que je m’en moque !…Et tzim ! et boum !… Non, mais ce que je m’en moque !.. Oh ! la la !… Voilà des titres !… J’en ai d’autres… J’ai beau chercher, je ne possède pas un ennemi, tout le monde m’aime, et je tutoie tout le monde !… À peine ai-je vu quelqu’un, que je le tutoie, aussitôt !… Et je ne suis pas fier… Je tutoie aussi bien les domestiques que les maîtres… Je tutoierais le pape, si je le rencontrais, dans un couloir de théâtre… Et je lui taperais sur le ventre… et je l’appellerais :