l’existence humaine. Jamais un rêve « d’autre chose » n’avait pénétré leurs pauvres cervelles, réglées comme une montre par l’administration.
Une seule chose au monde les troublait, en leur constante quiétude : un changement de ministère. Et encore, les impressions indécises qu’ils en avaient étaient-elles le résultat de l’influence excitatrice du milieu, plutôt que de l’événement direct. Durant quelques jours, ils étaient inquiets ; leur pouls battait plus vite ; ils s’élevaient jusqu’à la conception vague d’un renvoi ou d’un avancement possible. Et, le nouveau ministre installé, la paix revenue dans les bureaux, ils reprenaient aussitôt leur vie régulière et neutre de larve endormie. Les habitudes sédentaires, l’indigeste nourriture des crèmeries, jointes à la dépression cérébrale qui allait, chaque jour, s’accentuant, les avaient préservés des dangers spirituels ainsi que des besoins physiques de l’amour. Trois ou quatre fois, à la suite de banquets administratifs, ils avaient été entraînés dans de mauvaises maisons. Et ils en étaient sortis mécontents, plus tristes et volés.
— Ah ! bien, merci ! disait M. Anastase Gaudon… pour le plaisir qu’on a, vrai, c’est cher !
— Faut-il être bête ! opinait M. Isidore Fleury, pour dépenser son argent à ça !