Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/183

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éclatèrent… Elle ne les entendit pas… Impatientée, elle ordonna, d’une voix impérieuse :

— Je veux que vous relâchiez cet homme… Je le veux… Est-ce clair, cette fois ?

Ce fut une explosion dans la foule… La colère, l’indignation qui s’étaient portées sur le mendiant, se reportèrent sur la dame… Des outrages orduriers se précisèrent… des menaces ignobles se dessinèrent… Durant quelques secondes, elle eut à subir quelque chose de hideux, comme le viol de toute sa personne par cette foule frénétique… Un gamin, la bouche tordue d’insultes, se précipita à la bride des chevaux.

— Gueuse !

— Gourgandine !

— Enlevez-la !

— Mort aux Juifs !…

— Vous êtes des sauvages !… s’écria la dame.

Puis, elle resta, impassible, sous les huées, attendant que le mendiant fût délivré.

Celui-ci avait la face en sang… tout un côté de la barbe arraché… la tête nue, son chapeau, son misérable chapeau ayant roulé dans la rue… Il s’éloigna… tout tremblant sur ses jambes…

Alors, seulement la dame, toute frémissante, remonta dans sa voiture, poursuivie par les huées de cette foule aux griffes et aux crocs de qui les petits doigts d’une femme venaient d’arracher un peu de chair humaine.