Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/226

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et que je redoutais les railleries des hardies commères, ses compagnes, je n’osai pas lui parler, ni même une seule fois l’aborder. D’ailleurs, ma famille, intriguée par ces sorties fréquentes, qui ne m’étaient pas habituelles, m’ayant surveillé, me confina sévèrement à la maison.

C’est alors que je songeai à Mariette, notre petite bonne, à qui ma cousine m’avait si injustement et si prophétiquement accusé de prodiguer mes attentions et mes désirs. Elle était vraiment charmante, cette Mariette, et je me reprochai de m’en apercevoir pour la première fois. Toute blonde et fraîche, d’une fraîcheur irradiante de fleur, le buste flexible, les hanches rondes et pleines comme un bulbe de lis, les yeux bleus étonnés et languides, elle m’apparut soudain, malgré ses rudes vêtements de paysanne et ses lourds sabots, elle m’apparut pareille à une petite fée ou à une petite reine. Cette vision illumina mon âme d’une éblouissante lumière. Depuis qu’elle était à la maison, à peine si je lui avais adressé deux ou trois fois la parole. D’être toujours rebuté et toujours, sous peine d’intolérables moqueries, condamné au silence, cela rend peu communicatif.

— Est-il possible que je ne l’aie jamais vue ! me disais-je avec de grands regrets… Moi qui vivais près d’elle !… Ô Mariette !… Mariette !…