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Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/248

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est tout ce qu’il y a de meilleur, je vous prierai de signifier, aujourd’hui même, son congé à votre jardinier…

J’étais atterré.

— Mais, ma chère Jeanne, répondis-je en balbutiant, vous n’y songez pas… Mon jardinier est un vieux jardinier… Il a servi ma mère pendant quinze ans ; voilà cinq ans qu’il est avec moi… C’est le meilleur, le plus honnête, le plus dévoué des hommes… Il est en quelque sorte de la famille…

Elle répliqua :

— Eh bien !… votre mère ne l’a-t-elle pas payé ?… Vous-même ne l’avez-vous pas payé ?… On ne lui doit rien, j’imagine… Que demande-t-il ? Aujourd’hui même, vous entendez, mon ami… Je ne veux plus le revoir demain…

C’est en tremblant, comme si j’allais commettre une mauvaise action, un crime, que j’abordai, dans le jardin, le pauvre vieux jardinier… Juché sur une échelle, je me souviens, il taillait ses espaliers… Et brusquement, avec une voix dure, avec une voix forte, pour ne pas entendre les voix de reproche qui montaient du fond de mon âme, en grondant :

— Il faut vous en aller, père Valentin, criai-je… Je ne vous garde pas… je ne puis plus vous…