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Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/257

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mot à dire, qu’un geste à faire — mais je ne le prononçai point, et je ne fis point le geste !

Je tombai sur un siège, anéanti, la tête dans les mains, avec un poids si lourd sur mes épaules que j’eus la sensation que quelque chose de maudit venait de descendre sur moi !…

Et lui aussi, Pierre Lucet, il avait dit : « Pauvre Paul ! » quand on l’avait chassé, comme j’avais chassé le vieux jardinier !

IV

Bientôt, notre maison devint silencieuse, et presque farouche. De même qu’elle avait chassé les amis, elle chassa les pauvres, ces amis inconnus, ces amis éternels de nos révoltes et de nos rêves. Aux misérables qui passent, elle ne souriait plus, comme une espérance, une promesse de joie et de réconfort. Par les routes, par les sentes, sur les talus, derrière les murs, ils s’étaient dit, sans doute, la mauvaise nouvelle. Aucun ne s’arrêtait plus devant sa claire façade, autrefois si hospitalière, si inviteuse, maintenant protégée contre l’imploration des sans-pain et des sans-gîte, par l’effroi de deux dogues, gardiens de nos richesses, et aussi par l’insolence des domestiques qui aiment à se venger sur les faibles des duretés de leur asservissement.